Table des matières
Le bonheur est une question à laquelle nous sommes tous confrontés.
Elle occupe une place fondamentale en philosophie et en politique.
Cette notion figure dans les constitutions américaine et française.
Le bonheur semble être le but de toute vie humaine.
Le débat, les dissensus et les clivages autour de la notion de bonheur ne sont pas sur la question de comment l’atteindre, mais sur sa définition.
La définition conditionne la prescription.
Pour Sénèque et les stoïciens, c’est le moment présent et l’être.
Il prescrit donc de se détacher du hasard et de l’avoir pour se raccrocher au moment présent et à l’être.
Pour Épicure, c’est le discernement entre plaisirs naturels et non naturels.
Le plaisir n’est pas dans la jouissance, mais dans l’absence de douleur.
Il prescrit le Tetra Pharmakon : les dieux ne sont pas à craindre, ni la mort ; la douleur est aisée à supporter parce que seuls comptent les plaisirs naturels et ceux-ci sont faciles à satisfaire (besoins physiologiques).
Pour Nietzsche, le bonheur n’est pas un idéal à atteindre, mais quelque chose à garder. Il est dans votre corps, sur terre, parle en vous à travers votre nature et est l’expression de votre volonté de puissance.
Il est déjà dans notre vie puisqu’il est vie.
Il fait la distinction entre bien-être, mortifère, médiocre, commun, lassitude et bonheur, expression de la volonté de puissance et, par extension, de la vie.
Il prescrit sa conservation par le concept de surhomme qui se décompose en trois piliers :
Le sens de la terre ;
L’héroïsme du créateur ;
L’affirmation de la vie.
Le bonheur capitaliste post-moderne est l’expression libre de son individualité.
Il prescrit une jouissance sans limites des expériences en séquences (à lire : Les barbares d’Alssandro Baricco)
En bref, c’est parce que c’est une notion polysémique qu’elle est aussi sujette à débat, désaccord et clivages.
Personnellement, j’entendrai par bonheur l’adéquation et l’harmonie de sa nature et de son être avec le monde.
Parce que ce qui relie tous les êtres humains c’est la nature humaine, j’expliquerai le bonheur par celle-ci et son épanouissement.
Elle sera ainsi notre guide.
Le bonheur se fonde, non sur l’opinion, mais sur la nature.
Nature humaine
Origine
Nous, habitants de cette planète, sommes le fruit de quatre milliards et demi d’années d’évolution.
Cette évolution n’a eu qu’un seul objectif et il est trivial : perdurer et y dévier résultait inéluctablement la mort.
À cette visée, l’évolution, aveugle et contingente, invente et utilise les concepts d’attirance et de répulsion.
Attirance en faveur des éléments nécessaires à la survie de l’organisme (nutriment, oxygène, lumière, etc.).
Tout élément requis pour la production de son énergie et pour la protection de son intégrité physique.
Le but est celui d’accomplir l’œuvre de l’évolution : la création d’une progéniture viable pour qu’elle puisse accomplir, à son tour, le même processus.
Le concept d’attirance et son opposé répulsion constituent les racines de toutes nos motivations.
Attirance : Amour, Curiosité, Intérêt, Attrait, Désir, Appétit, etc.
Répulsion : Crainte, Peur, Dégoût, Aversion, Écœurement, etc.
De nombreuses variantes et sous branches à ces concepts se sont déployées au cours du temps — par la complexification de l’intelligence — mais toutes découleront de ces deux seuls concepts.
Éprouvée par le temps
Si nous sommes ici présents aujourd’hui, après plus de quatre milliards et demi d’années de mise à l’épreuve du processus évolutif, c’est parce que la nature a élaboré des moyens extrêmement efficaces pour accomplir son œuvre (= perdurer dans le temps).
Les déviants étaient très généralement éliminés sans trace par la réalité par la mort sans descendance.
Le hasard n’engendre que très rarement des avantages évolutifs.
Nous sommes alors les descendants des millions de petits succès de ce mécanisme.
Nous sommes le résultat d’un ajustement picométré du processus évolutif.
Nous sommes son dernier succès, un chef-d’œuvre engendré par la multitude de nos ancêtres qui ont chacun servi d’ajustement, de pierre à aiguiser.
Chacun de ces nombreux ancêtres a prouvé l’efficience de ce mécanisme.
Naturellement, par hérédité, nous avons hérité de ce mécanisme.
Nous sommes des machines à nous reproduire dans le temps, c’est l’origine de notre existence et donc, c’est celle qui la régit.
Nous sommes des formidables machines à survivre pour se reproduire et à pérenniser l’espèce !
Psyché conditionnée
Nous existons que parce que le processus évolutif nous a permis d’exister en parvenant à son objectif qu’avait été la reproduction de nos ancêtres.
Notre psyché, notre mental, notre espace conceptuel des idées et d’étalonnage des valeurs sont héritées de nos ancêtres et ont été structurés en profondeur par ce processus à l’origine de votre existence, après d’innombrables générations, survivant à cinq extinctions massives et plus de quatre milliards et demi d’années !
Pour vous faire saisir la différence entre un million et un milliard : un million de secondes représentent onze jours, un milliard représente trente-et-une années.
Ce processus se manifeste à travers notre corps, notre psyché, notre esprit.
Corps > Esprit
Notre intelligence, qui constitue notre net avantage évolutif, n’est apparue que très tôt dans la longue histoire du vivant — environ il y a 10 000 ans, à la révolution néolithique.
Celle-ci n’a donc joué qu’un rôle mineur dans la constitution de notre psyché — grossièrement aussi mineur que dix-mille années l’est pour quatre milliards d’années → facteur 1/400 000.
Ainsi, celle-ci n’a qu’un rôle mineur à notre bonheur — et nous verrons lequel sur l’amour de l’abstrait et de l’univers.
C’est donc des instincts plus primaux, plus bestiaux, plus proches du corps que de l’esprit qui priment.
L’esprit est l’expression du corps, c’est un des enseignements fondamentaux de Nietzsche.
Nature primaire sociale
Nous ne pouvons pas vivre par nous-mêmes, dans la nature, nous avons donc dû développer des besoins sociaux affectifs amoureux pour vivre en communauté.
Vivre en communauté était notre seul salut.
Jamais une déviance antisociale ne pouvait émerger et se propager dans l’espèce parce que l’individu déviant s’éteindrait sans contaminer son espèce, car sans descendance.
S’écarter de du chemin tracé par l’évolution résulte inéluctablement et immanquablement un mal-être, un malheur proportionnel à l’écart effectué.
Tout écart risquait de voir le processus de reproduction échouer et pouvait donc faire disparaître l’espèce du temps.
Était donc privilégié celui qui pouvait prendre conscience de l’écart qu’il avait effectué, se traduisant par ce sentiment de mal-être et de malheur au travers des besoins et désirs sociaux.
Nous ne pouvons donc pas vivre par nous-mêmes, en nous-mêmes, comme un autodémiurge, malgré ce que dit l’idéologie individualiste. Cette idéologie ne peut être vraie, car cela serait anti-darwinien pour le cas de notre espèce.
La nature primaire de l’homme est éminemment sociale.
Une nature secondaire vient se greffer à celle-ci : une nature sexuée.
Elle est construite par les différentes stratégies de reproduction qui régissent les espèces — ici l’homme — donc par la relation entre les deux sexes qui la composent.
Nature de l’homme
Sa stratégie de reproduction est la polygamie : ils doivent séduire une femelle en se démarquant par leur aspect (beauté et force), leurs capacités physiques, intellectuelles et sociales.
Ce sont des conquérants, ils doivent être forts, innovants et habiles.
Ils sont construits biologiquement pour aimer profondément les jeunes et belles femmes : atteste de la capacité à se reproduire/fertilité.
L’origine de la sacralisation de la jeune femme au sein de nos arts, la facette « romanesque » des hommes qui perdure encore aujourd’hui vient de cette fascination pour la jeune et belle femme.
Leur but est de maximiser leur chance d’avoir une progéniture.
L’homme est façonné pour répondre au réel et à ses contraintes, sa survie et celle de son groupe en dépendent. Il est alors plus sensible au pragmatisme, à l’ontologie des choses, la recherche de la vérité
. Il est observateur et rationnel.
Il se démarque du groupe par sa capacité à fédérer, à diriger et à y pourvoir. Il est plus meneur, ambitieux (= meilleur statut social). Il est aussi plus violent, car sa proportion à vouloir diriger engendre des conflits.
Nature de la femme
Sa stratégie de reproduction est l’hypergamie : elles doivent sélectionner le meilleur mâle qui la protégera, mais surtout protégera sa progéniture.
Elles doivent choisir les mâles les plus beaux, signe de bonne santé physique et d’un bon patrimoine génétique ; les plus viriles, capables et charismatiques, qualités nécessaires à l’obtention d’une position sociale élevée au sein du groupe.
Leur but est de maximiser les chances de survie pour elles et leurs progénitures.
Plus faible physiquement, par contrainte d’économie d’énergie imposée par la nature qui a entraîné une division des tâches.
Elles ont un statut social plus fragile, car elles sont plus faibles et tombent enceintes.
Elles doivent alors se montrer plus fines, plus psychologues et plus sociables pour parvenir à leurs fins et survivre.
Elles sont sociables et psychologues.
Leur réalité est définie autour de leurs relations sociales (théorie du bary-centre par Stéphane Édouard). Ainsi, leur conférant leur plus grande qualité : l’intelligence sociale ; comme leur plus grand défaut : vérité relative et variable dans le temps.
Son amour pour l’homme est nécessairement intéressé vis-à-vis de la survie de sa progéniture → hypergamie. Progéniture dont elles sont faites biologiquement pour aimer.
Nature → Bonheur
En résumé, l’être humain est un animal qui n’existe que par et pour reproduire son espèce.
La nature use de stratégies multiples pour pousser l’homme et la femme à faire ce pour quoi ils existent.
Il était absolument nécessaire de rappeler et d’insister sur nos origines pour comprendre notre nature.
Nous pouvons dès lors affirmer que le bonheur est intrinsèquement lié aux autres, à l’amour des autres : l’Amour ! C’est-à-dire cette attirance « basique » et raffinée pour les espèces sociales.
Définissons et précisons ce que le concept Amour signifie ici.
L’Amour est un terme polysémique : nous parlons d’amour chrétien, d’amour en amitié, d’amour pour sa patrie, d’amour pour l’univers et son fonctionnement, d’amour pour l’art, d’amour pour les enfants, d’amour au sein du couple, d’amour pour Dieu, etc.
Toutes ces formes sont vraies et ont pour origine notre besoin de survie, elles sont donc les résultats de pressions évolutives :
- Amour de l’univers, sous-entendu de la nature : besoin de comprendre le monde et ses mécanismes ;
- L’amour pour la communauté, le cercle social et la famille : besoin d’appartenance à un groupe ;
- L’amour pour sa partenaire et sa progéniture : besoin d’une descendance viable.
Plus l’objet de l’amour porte sur quelque chose d’abstrait, plus elle est fragile et faible.
Plus l’objet est abstrait, plus la forme d’amour associée est apparue tard dans le processus de l’évolution donc, moins elle est fondamentale.
Amour pour l’univers et l’abstrait
Notre amour de l’univers et de l’abstrait est la spécificité de notre espèce, celle qui fait l’étendue de notre intelligence et de nos connaissances. Il rend en effet possible le concept de passions créatrices.
Nous avons trouvé beau l’univers et les arts ont émergé — par le processus d’abstraction que nous verrons plus tard.
Cet amour est unique parce qu’il n’a pas pour cible un ou plusieurs de ses congénères, mais l’Univers dans sa totalité.
Il est ce qui nous rapproche le plus de Dieu parce qu’il porte sur le tout. Sa portée n’est plus celle de l’individu ou de l’espèce, mais universel. Et surtout, il ne dépend de rien si ce n’est de la réalité elle-même.
Cet amour prend pour origine l’appétence de notre psyché pour l’information. Une appétence qui a été plus que nécessaire, car glaner des informations sur son environnement était une question de survie.
L’intelligence est la capacité à recueillir des informations et à en tirer des nouvelles qui correspondraient à la réalité.
La curiosité — l’appétence pour l’univers et ses mécanismes — et la logique — décoder le réel — étaient de rigueur.
Sociabilité →cercle vertueux
Notre faible constitution physique nous a obligés à une coopération très étroite. Cela implique rapports sociaux et donc, rapports de force. Notre statut social dépendait de votre capacité à gérer ces rapports de forces.
Ainsi, c’est enclenché un cercle vertueux : une course sans fin pour correspondre le plus parfaitement que possible aux archétypes correspondant aux deux stratégies sexuelles du genre humain→ pousse inéluctablement à l’intelligence par sélection sexuée.
Les rapports de force exigent la capacité à décoder l’autre. Ainsi naît l’intelligence sociale.
Les rapports sociaux se fondent sur les dichotomies :
Individualité/groupe ;
Égoïsme/altruisme ;
Tricherie/franchise ;
Iniquité/équité ;
Rivalité/coopération ;
Confiance —/méfiance.
L’individualité cherche à tromper par égoïsme et le groupe cherche l’équité pour sa stabilité, donc à débusquer la tromperie.
La tromperie contre la défiance. C’est un jeu sans fin à celui qui sera le plus fin, cercle vertueux vers l’augmentation de notre intelligence.
Notre curiosité excessive — au sens « plus qu’il semblerait nécessaire » — pour l’Univers est issue de ce cercle vertueux et nous a menés vers la possibilité conceptuelle de l’Abstrait.
Cette possibilité de l’Abstrait a permis une coopération à bien plus grande échelle grâce à des concepts — abstraits — d’identification et d’appartenance : religion, culture, nation.
Arts
Cet amour de l’univers, associé à la capacité de l’abstraction, a engendré l’art.
C’est la capacité d’abstraction qui se manifeste par la création et qui est la source de cette première strate du bonheur.
Apporter sa pierre à l’univers, s’y fondre et y participer, le forger et y créer son enclave ; forme d’harmonie résonnante entre soi et le monde et forme de contribution intime à l’univers. Les arts alimentent un sentiment d’accomplissement.
Cet amour de l’Univers et de l’Abstrait n’est qu’une marque récente de notre processus évolutif. Par conséquent, il ne joue qu’un rôle secondaire sur notre bonheur.
Fin de l’évolution
Celui-ci marque — par la technologie — l’affranchissement de l’espèce du processus évolutif.
L’amour de l’Univers et de l’Abstrait représente la dernière œuvre de l’évolution biologique.
L’évolution des modes de production, marquée par le progrès technologique, conduira inéluctablement vers le transhumanisme, c’est-à-dire vers la possibilité de redéfinir notre propre nature — s’y affranchir.
Se réaliser à travers cette passion requiert un investissement en temps et efforts conséquents. Plus encore aujourd’hui où l’on a le sentiment que tout a déjà été créé ou inventé. Aussi, peu ont le temps et les capacités suffisantes.
Faiblesses
C’est un amour fragile, car il vacillera par le manque de temps pour s’y consacrer : par le déclin de ses capacités dû à la vieillesse ou l’accident ; par le manque d’inspiration créatrice ; par l’absence de progrès.
Si on s’y réfère seul pour subvenir à son bonheur, elle nous plongera dans un va-et-vient de mal-être/bien-être.
Si cet amour améliore indubitablement nos vies, participe à notre bonheur, il serait fou de s’y baser uniquement. Nous devons alors nécessairement satisfaire d’autres formes d’Amour, plus primitives, décrites ci-dessous.
Amour pour la société
L’amour pour la société est plus facilement atteignable que celui des passions parce qu’elles ne nécessitent pas un dépassement constant de ses capacités ni d’inspiration. Il est naturellement en adéquation avec la structure de nos sociétés.
Il consiste en un sentiment d’appartenance et un accomplissement en son sein. L’objet de cet amour reste encore abstrait. Il est celui de la société, d’une nation, de ses valeurs et de ses individus, par conséquent il reste faible.
Le sentiment d’appartenance est la reconnaissance, par l’individu, des valeurs et du mode de vie de cettedite société.
L’accomplissement s’exprime par la valeur ajoutée que l’individu apporte. Il est étalonné par la reconnaissance de la société envers cet individu.
Le travail, au sens métier, est le vecteur le plus commun de l’accomplissement au sein de la société.
Marché du travail aliéné
Cependant, la rationalisation excessive des modes de production, l’industrialisation puis la tertiairisation ont transformé le monde du travail vers des métiers toujours plus abstraits, intermédiaire, déconnecté de la production réelle et/ou de l’humain.
Aussi, le marché du travail se robotise non seulement dans le sens de l’automatisation, mais aussi par le fait qu’il assujettit les travailleurs en simple outil de production (aliénation).
Nous ne comprenons plus l’utilité de nos métiers, car ceux-ci font partie d’un ensemble trop vaste pour l’appréhension d’un seul esprit humain — celui du marché national ou/et mondial.
Aussi, la survie des sociétés actuelles dépend de ce modèle ultra productif et rationnel.
En sortir signifierait régresser et donc de mourir.
Dans un monde comme le nôtre, mondialisé, apparaît une sorte de dumping entre nations : course à la production, aux progrès et à la richesse matérielle ; si une nation n’y participe pas alors elle se fera absorber par les autres.
Or, l’objectif premier d’une société est sa conservation, et ce même au détriment du bonheur de ses sujets.
Le seul moyen pour échapper à ce système est de trouver un autre modèle de société avec un taux de progrès technologiques au moins équivalent.
Sentiment d’appartenance brisé
L’idéologie de la postmodernité, basée sur la déconstruction, déconstruit précisément les notions de nation et de peuple (voir l’article postmodernité).
Nous considérons que les individus font la nation (voir l’article essence de la gauche).
Or, dans une société multiculturelle, où cohabitent différentes communautés ; dans une société qui s’efface au profit de la mondialisation ; dans une société qui s’oublie dans un sentiment de repentance et de culpabilisation ; l’individu se perd, ne se reconnaît plus, est fragilisé par un manque d’identité et d’appartenance.
Nous ne savons plus ce qu’est un Français, nous renions l’identité française par manque de définition. Il n’y a plus de volonté d’identité pour nous rassembler autour d’un noyau commun, celle de la nation.
Il n’y a plus de projet commun qui, auparavant, justifiait et magnifiait la société dans laquelle nous étions.
Amour social
L’amour social porte cette fois-ci directement sur ses congénères et est, par conséquent, plus important que les deux premières formes d’amour vues précédemment.
Elle représente l’attachement pour ses amis, ses collègues, ses parents, ses frères et ses sœurs, ses cousins et ses cousines, ses neveux et ses nièces ; plus généralement pour son cercle social.
Cet amour c’est la considération des autres comme une fin en soi, non comme un moyen.
Aimer une personne commence par accepter ses défauts. Et ce n’est que par une connaissance intime de cette personne que nous parvenons à les accepter, c’est-à-dire par une compréhension de son histoire, de ses capacités et de sa psyché.
D’abord viennent la tolérance, puis l’acceptation, ensuite les expériences communes produisent une accoutumance : l’amour.
Nous aimons ceux qui nous ressemblent parce que la ressemblance rassure.
La ressemblance facilite l’empathie émotionnelle et intellectuelle. Nous pouvons ainsi savoir ce que l’autre pense et ses objectifs, donc prédire ses actions et réactions. Cela facilite la coopération.
Ce qui se ressemble se rassemble.
Nous recherchons des gens que nous pouvons comprendre et qui peuvent nous comprendre.
L’altérité, la différence est bonne et n’est recherchée que quand elles visent un but de complémentarité.
Nous cherchons chez les gens que nous pouvons comprendre et ce qui nous manque.
Misère de la condition humaine
souffrance du réel
C’est par le concept de la misère de la condition humaine que la chrétienté a développé son concept d’amour universel.
La misère de la condition humaine est le liant qui nous rassemble tous.
L’amour chrétien est l’amour social où l’on a étendu son objet à une échelle semblable à celui d’une société.
« La vie est guerre », disait Héraclite. Elle est difficulté, elle est frustration et elle est injustice. La vie est une épreuve que nous partageons tous.
C’est donc la prise de conscience des tourments que nous avons en commun qui nous rassemble.
La difficulté de la vie force à la coopération et est vectrice d’expériences communes.
Ces expériences communes, nous l’avons vue précédemment, sont nécessaires à l’amour social.
L’adversité forge des liens sociaux étroits et forts.
Tragédie humaine
L’homme est cet être dont la condition est d’aller toujours au-delà de ce qu’il est.
Cette quête rend l’existence belle parce qu’elle la justifie et y donne un sens, mais, est aussi une tragédie parce que c’est une fuite en avant.
Nous menons cette quête maladroitement presque à l’aveugle, tel un enfant découvrant le monde.
Nous cherchons le soutien et la reconnaissance de nos congénères tout comme l’enfant les cherche chez ses parents.
C’est ce qui rend l’humain touchant : nous cherchons l’affection des autres presque aussi maladroitement que les enfants.
Nous sommes un enfant qui voulait être un héros, reconnu d’autrui, être écouté, être vu.
L’homme est un poussin qui rêvait d’être Dieu.
« L’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux », disait Alphonse Lamartine.
L’attrait des jeunes adolescents pour la célébrité provient de ce besoin d’être vu, d’être reconnu : rock star, acteur, youtubeur, grand scientifique, grand philosophe, superhéros.
Les gens n’ont plus conscience de cette misère qu’est la condition humaine.
Comment pourraient-ils connaître les autres s’ils ne se connaissent pas eux-mêmes ?
Comment pourraient-ils s’aimer s’ils ne se connaissent pas eux-mêmes ?
Comment pourraient-ils aimer les autres s’ils ne peuvent s’aimer ?
Le confort et le matérialisme à outrance par la recherche mortifère du bien-être — très récent dans notre histoire — nous fait oublier la misère de nos âmes – oubli imposée aussi par la marchandisation à outrance et son obnubilation des expériences.
La conséquence est que nous nous éloignons de plus en plus des autres, les liens deviennent de plus en plus tenus, et ce, malgré la promiscuité physique jamais atteinte par le biais des villes et d’internet.
Nous vivons dans la solitude peuplée des villes et des réseaux sociaux.
Progrès contre l’humain
Le sens du progrès technologique est élimination des interdépendances que nous avions autrefois entre individus. Ces interdépendances étaient sources de tensions, de conflits, de violences, de turpitudes, de dangers, de peurs et plus généralement et de rejets — signifiant la mort en des temps ancestraux.
Le progrès nous amène ainsi une quiétude de vie, un bien-être — mortifère — en nous débarrassant de « l’enfer » que représentaient les autres.
Dans les sociétés préindustrielles, les liens familiaux ainsi que ceux au sein de la communauté de vie (villes, villages) représentaient le monde, le réel des individus.
Or aujourd’hui, les villes nous plongent dans l’anonymat et les familles sont presque surannées et dépossédées de tout pouvoir et de tout moyen d’action — par l’intermédiaire de l’État devenu aujourd’hui un père de substitution.
Nous avons vu que les liens sociaux se forgent dans l’adversité et par des expériences communes.
Or, l’ultra-confort matérialiste ainsi que la dépersonnalisation des rapports humains — par internet et le smartphone — tendent à faire disparaître ces liens.
Le livre Loneliness de John T. Cacioppo et de William Patrick expose les effets délétères de la solitude sur le comportement et la psyché humaine — en plus de la déliquescence de la biologie de l’individu isolé.
L’individu isolé — par forcément physiquement — devient méfiant, stressé, maladroit socialement, perd sa capacité d’empathie, sa capacité de contrôle de soi, attribue des intentions négatives aux individus qu’il côtoie.
Un individu aux besoins sociaux satisfaits est au contraire plus ouvert, plus empathique, plus serein, plus maître de ses pulsions, plus bienveillant, plus altruiste.
Le problème de violence, de malaise, de dépression, d’arrogance et autres névroses sociales ne sont-ils pas des signes de la solitude qui ronge nos sociétés ?
Individualisme et consumérisme
L’excès de relations sociales par les biais de la ville et des réseaux sociaux ; éloge du faux par l’avoir ; le travail déconnecté de l’humain par la disparition, par exemple, des commerces de proximités ; l’artificialisation et la marchandisation des relations ; sont les résultats du changement de structure de nos sociétés opéré par le progrès.
Tout est expériences faciles et consommables rapidement.
L’avoir contre l‘être.
Nous nous oublions de plus en plus dans la consommation, dans l’avoir plutôt que l’être, dans la recherche d’un meilleur statut social, dans l’artificialisation de nos vies par le virtuel, dans la consommation à outrance des relations — relations aliénées devenues simples divertissements à la vacuité de notre existence.
Nous sommes constamment sollicités et dérangés.
Nous connaissons la sonorité des notifications de téléphone, mais plus les chants du peu d’oiseaux qui restent en ville.
Nous oublions l’enseignement, qui nous rassemblait, de la religion chrétienne sur la misère de la condition humaine.
Le confort de vie élimine de nombreuses complexités qui rendaient la vie difficile et donc, nous n’avons plus besoin des autres — pour vivre confortablement.
Amour concubin
L’amour concubin, au sein du couple, est la forme la plus forte ressentie pour un congénère qui ne soit pas un de nos enfants. Il est l’amour social poussé à son acmé et est associé au sentiment amoureux qui est un catalyseur biologique.
Les origines de l’amour du couple sont les besoins de se reproduire et de voir sa progéniture survivre pour qu’elle puisse, à son tour, se reproduire.
Pour nous pousser à nous reproduire, l’évolution nous a légué l’amour charnel/passionnel : le sentiment amoureux.
Samuel Butler disait que la poule n’était que le moyen pour un œuf de produire un autre œuf.
Il est éphémère parce qu’il a été avantageux qu’un même homme puisse féconder plusieurs femmes.
Le corollaire est que la femme doit accepter le comportement polygame de l’homme.
Pour ce fait, l’homme et la femme ne doivent pas être éperdument amoureux de l’un et de l’autre ad vitam.
Topologie sexuée
L’amour de l’homme est principalement porté sur les attributs physiques de la femme. Ces attributs attestent de la capacité physique de la femme à enfanter ainsi que de sa fertilité : largeur des hanches, masse graisseuse élevée, jeunesse, etc.
L’amour de la femme est, quant à elle, porté sur le statut social de l’homme. Son statut attestera la capacité de l’homme à lui fournir protection et satisfaction de ses besoins et ceux de sa progéniture.
Polygamie masculine
L’homme est polygame parce qu’il est dans l’intérêt de l’espèce qu’il féconde le plus de femmes. Ainsi, il peut biologiquement et psychologiquement féconder plus d’une femme par jour.
La polygamie n’est permise que si l’homme est suffisamment capable, c’est-à-dire s’il a un statut social important au sein du groupe. Ce phénomène engendre ainsi à un eugénisme naturel où l’homme capable se reproduisait plus que l’homme moins capable — qui généralement ne se reproduisait pas.
La dépression post-partum et le baby-blues sont des stratégies biologiques pour que la femme accepte la nature polygame de l’homme. Elles font cesser son amour passionnel au profit de sa nouvelle progéniture, permettant ainsi à l’homme de féconder d’autres femmes.
Hypergamie féminine
Si la femme accepte le libertinage de l’homme, l’homme n’accepte pas celle de la femme.
Élever les enfants revient à diviser la calorie disponible du foyer.
Or, plus la calorie — apportée de l’extérieur par l’homme — est partagée, plus les chances de survie et le confort du foyer diminuent.
Élever les enfants des autres revient donc à réduire les chances de survie de ses propres progénitures et voir son confort minimisé.
Ainsi, la femme libertine était source de tensions et conflits au sein de la communauté, fragilisant celle-ci.
Les lignées des « cocus » et communautés de femmes volages ont été donc plus fragiles.
Ainsi, la biologie aura privilégié une aversion chez les hommes comme les femmes envers la polygamie féminine et l’histoire la réifiera dans nos mœurs culturelles.
La monogamie va de pair avec la jalousie.
Pour éviter à la femme des conflits et son éviction du groupe, la nature aura eu tendance à lui doter d’une nature monogame, mais en contrepartie, une monogamie sélective : hypergamie.
Après la passion vient l’attachement
L’amour passionnel dure le temps théorique nécessaire à ce qu’un couple se reproduit avec succès : c’est-à-dire aux alentours de neuf mois. Pendant ces neuf mois, l’homme devra fournir à la femme une protection et une attention particulière.
Or, si la passion amoureuse était nécessaire, elle est aussi nécessairement éphémère.
Alors, un lien d’une nature différente et allégée doit subsister le temps de la maturation de la progéniture : celle de l’attachement
La progéniture se devait d’avoir un père, car celui-ci assurait le statut social de sa mère et, par extension, le sien.
La progéniture se devait d’avoir une mère pour le protéger au sein du foyer de vie quand le père y rapportait la calorie de l’extérieur.
Le rôle des parents sera de le préparer à la vie de la communauté.
Ce lien d’attachement favorisait la survie de leur progéniture et donc, par pression sélective, ce lien subsiste jusqu’à nous.
Sentiment amoureux
Le sentiment amoureux est la volonté d’abandon de soi.
Pour Platon et Socrate, c’était le désir du corps d’éternité et de beauté : celui de se fondre et de s’oublier dans l’idéal.
Pour Aristophane, c’est le sentiment nostalgique d’avoir été séparé de son âme sœur.
Pour Dostoïevski, c’est l’abandon de son individualité, de ses désirs, de son égo, pour ceux de l’être aimé.
Nous avons d’autant plus besoin d’être amoureux que nous avons besoin d’échapper aux outrances du réel qui obligent aux risques, à délaisser et à choisir, à compter, à mesurer et à calculer.
L’amour est une stratégie contre le discernement, contre les excès de conscience.
C’est une illusion nécessaire pour jouir pleinement, car, pour jouir pleinement, il faut jouir sans comprendre.
Une définition de l’amour
L’amour est le thème central de ce texte et nous en avons vu suffisamment pour nous autoriser à y donner une définition.
Qu’est-ce que l’amour ? Comment savoir si j’aime ?
Aimer c’est lorsque ton âme ne peut se passer de l’objet sur lequel porte cet amour : sa femme, son mari, son enfant, son ami, la nature, l’expression de son imagination et de ses pulsions par le dessin, la musique, l’écriture, l’art.
J’emploie le terme âme, car j’y distingue les besoins vitaux physiologiques du corps auxquels nous ne pouvons nous passer : l’oxygène, l’eau, la nourriture, le sommeil, ses parents pour le toit qu’ils pourvoient, etc. ; des besoins vitaux et aspirations de l’âme pour l’univers, l’abstrait ou une personne.
La disparition de l’objet sur lequel portait l’amour provoque une déchirure de l’être.
Si un obstacle contrevint à l’accès à l’objet sur lequel l’âme portait son amour :
soit par le décès d’une personne ;
soit, pour des objets plus abstraits, éternels, comme l’Univers, par la perte de la capacité qui en était le vecteur comme la vue, l’ouïe ou ses jambes ; alors cette âme est dévastée.
L’amour est l’échappatoire à la misère de la condition humaine.
C’est une stratégie pour l’oublier.
Cet amour est ce que j’appelle un amour fort : l’amour au sein du couple ou pour l’enfant doit nécessairement être de cette nature pour être satisfait. Par opposition à l’amour social, sociétal et des passions, que l’amour faible suffit à leur assouvissement.
Qu’entends-je par amour fort et par amour faible ?
Par nature, l’amour au sein du couple ainsi que l’amour pour son enfant sont conçus pour être satisfaits par la singularité de l’objet en question. Et ce, même si l’on a plusieurs enfants ou plusieurs amants, le décès d’un seul est tout aussi douloureux s’il faisait partie d’une multitude que s’il était unique.
C’est donc cette singularité de l’objet sur laquelle porte une forme d’amour qui en fait un amour fort.
Tandis que les autres formes d’amour — social, sociétal, de l’univers — ont pour objet une pluralité d’éléments : amour faible.
Individuellement, chacun de ces éléments est dispensable.
Amour des enfants
L’amour pour ses progénitures représente l’aboutissement ultime de sa nature.
C’est la raison de votre existence, les enfants constituent votre projet ultime et votre plus grand héritage dans le temps.
L’esprit d’entreprise — au sens d’entreprendre des projets — dérive très certainement de cet amour.
Certes, cet amour s’exprime primairement par un sentiment primitif de maternité et de paternité, mais sa force réside dans le fait qu’il résonne avec toutes les autres formes d’Amour vu précédemment :
- L’amour de l’univers : L’enfant représente un chantier sans fin ; un projet extrêmement complexe et passionnant ; celui de la construction d’un individu à part entière que vous livrerez à l’univers. Il représente la plus grande pierre à l’édifice que vous pouvez apposer au cosmos. Un artiste ne pourrait rêver mieux.
- L’amour pour la société : l’enfant représente le produit le plus abouti et le plus cher que nous puissions offrir à la société.
- L’amour social et au sein du couple : le parent aime l’enfant au-delà du sentiment de paternité ou de maternité parce qu’il a pu observer son histoire complète tout en y étant fortement impliqué. On comprend intimement ses faiblesses et, parce qu’on y a été responsable en partie, nous compatissons jusqu’à la passion. Ainsi, théoriquement l’enfant incarne l’individu sur lequel on peut le plus aimer.
Cette résonance est une chose logique quand on considère que toutes les autres formes d’Amour découlent primitivement de celle-ci.
Sur l’éducation des enfants
Je pense qu’il existe un processus d’éducation idéal, constitué de principes généraux, découlant directement de notre nature.
Je tente ici d’y discerner ses contours.
Origine du modèle père/mère(s)
Bien que nous connaissions peu des pratiques d’éducation réalisées durant notre période de chasseurs-cueilleurs, à la connaissance de notre histoire antique au travers d’une multitude de civilisations anciennes et espacées, il semblerait qu’il ressort une tendance générale : celui de la famille, du couple père/mère(s) élevant leurs enfants.
C’est une tendance qu’on s’autorise à inférer par sa large popularité à travers l’histoire et la géographie. Elle découlerait de pratiques plus ancestrales.
Plus une espèce est primitive et plus ses pratiques — protocoutumes — sont ancrées dans notre nature, ici le modèle père mère(s).
Ainsi, nous pouvons inférer que ce modèle a été un avantage évolutif pour la survie de l’enfant donc, de l’espèce.
N’oublions pas que la nature à favoriser le lien de l’attachement au sein d’un couple justement pour l’éducation de la progéniture, donc, avoir un père et une mère a été primordiale.
La précocité de l’accouchement, caractéristique à notre espèce, rend le nourrisson incapable de survivre par lui-même.
Il requiert à la mère une attention constante, la rendant elle aussi vulnérable, car elle devient dépendante du groupe pour ce qui est de sa survie et de celle de son enfant.
La mère avait intérêt à choisir un mâle qui les aimerait suffisamment pour qu’il prenne personnellement en charge leurs besoins, mais qui aussi défendrait leurs intérêts au sein du groupe.
Les enfants mâles qui ont eu un père éducateur, mentor qui les ont accompagnés à devenir un mâle capable, c’est-à-dire reproducteur, ont eu naturellement plus de succès pour se reproduire.
Quel meilleur modèle que celui du père qui, précisément, a pu réussir à se reproduire.
Le besoin d’un père pour l’enfant a été donc primordial pour réussir à devenir un membre reproducteur.
Le besoin d’une mère pour l’enfant a été primordial pour survivre.
La structure mentale d’un enfant requiert ces deux rôles pour son éducation.
Les rôles peuvent être interchangeables au niveau du genre bien que, par nature, la femme est plus apte à jouer le rôle de la mère par son lien de maternité et l’homme, par sa nature conquérante et entrepreneuriale, plus apte à jouer celui du père.
Rôle de la mère
Le rôle de la mère dans l’éducation d’un enfant est celui de l’amour inconditionnel pour l’enfant.
La mère représente le socle, la base sur lesquels l’enfant peut expérimenter et surtout échouer.
La mère s’associe en profondeur dans l’esprit de l’enfant à la notion de sûreté.
Elle est la main tendue inconditionnellement pour l’aider et le soutenir au cours de sa vie.
Elle représente en quelque sorte le Dieu chrétien, celui qui aime infiniment et qui peut tout pardonner.
C’est la promesse de l’aube de Romain Gary :
« Avec l’amour maternel, la vie vous fait à l’aube une promesse qu’elle ne tient jamais. On est obligé ensuite de manger froid jusqu’à la fin de ses jours. Après cela, chaque fois qu’une femme vous prend dans ses bras et vous serre sur son cœur, ce ne sont plus que des condoléances. »
Seuls les actes atroces moralement — définis par la société — peuvent constituer une entrave à cet amour, mais cette entrave n’est que temporaire.
Comme pour le Dieu Chrétien, si l’enfant se repent, elle le pardonnera. Par ce potentiel pardon du tout nous pouvons considérer qu’elle n’a en réalité jamais cessé d’aimer l’enfant, elle a été exactement déçue.
Ce mécanisme du rejet-pardon permet de garder instinctivement l’enfant sur le droit chemin — défini par la société — et donc d’être intégré à la société dans laquelle ils vivent.
L’enfant, qui ne cesse jamais d’être enfant, aura une peur atavique de perdre et trahir ce socle que représente l’amour de sa mère. Peur de la trahison, peur construite au plus profond de son être, dès sa petite enfance. Elle deviendra irrationnelle, car perdura même après la mort de sa mère.
Une peur d’autant plus vive parce qu’être rejeté par sa mère signifiait la mort.
Rôle du père
Le rôle du père est de permettre à l’enfant de devenir un membre capable de la communauté, un membre apte à séduire et à se reproduire.
Il consiste à construire chez l’enfant une individualité forte, solide, complète, qui lui permettra de maximiser son bonheur sous ces cinq formes que nous avons vues, c’est-à-dire à assouvir sa nature.
Il doit encourager l’enfant à sortir de l’amour protecteur de sa mère pour le dur monde de la réalité, à entreprendre, à combattre, à s’entourer, à ruser et à devenir une femme ou un homme reproducteurs.
Alors que la mère a donné à l’enfant les outils et codes nécessaires à sa survie et à sa bonne conduite au sein de la société, le père doit lui donner les outils nécessaires à la « conquête du monde », celui de son bonheur qui passe en partie par la reproduction.
Les outils lui permettant de développer sa compréhension de l’univers (bonheur de l’univers et l’abstrait), d’acquérir une place dans la société (bonheur sociétal), de forger des relations solides avec les autres (bonheur social), et enfin de forger un couple solide (bonheur concubin).
Des outils nécessaires à ce que cet enfant puisse construire à son tour, un foyer sain et élever des enfants qui s’épanouiront et se reproduiront à leur tour.
Pour ce faire, il doit développer chez l’enfant son ouverture d’esprit ainsi que son esprit critique (univers), son sens du devoir, de la justice, de l’intégrité et de la droiture (sociétal), son altruisme et son empathie, son intelligence sociale (social et couple).
Vertus cardinales
Plus simplement, le père doit développer chez l’enfant les quatre vertus cardinales grecques.
Inventées par Socrate, Platon, Aristote, Cicéron et bien d’autres, ces vertus sont nécessaires à tout homme ou femme qui se veut complet, libre et épanoui.
Cette notion est l’une des bases philosophiques de la Grèce antique et se compose de : la prudence, la justice, la force et la tempérance.
La prudence pour discerner le vrai sur l’univers, sur soi et sur les autres. Elle évite tout jugement précipité et subjectif. C’est cette vertu qui prime chez les sages.
La justice est la vertu qui maintient le lien social parmi les hommes et pour ainsi dire, la communauté de vie. Elle repose sur le principe tribuere suum cuique, « attribuer à chacun le sien », autrement dit d’équité.
La force est la capacité de supporter les travaux et les peines. Elle est associée généralement au courage. Vertu qui prédomine sur les autres parce qu’on ne peut être prudent, juste, ou tempéré que si l’on est fort.
La tempérance est la vertu qui modère nos appétits et, plus généralement, veille à ce que toutes nos autres vertus gardent le juste milieu et présentent un aspect de « convenance ».
Vertu chrétienne
Je rajouterai une touche chrétienne à ces quatre valeurs :
La miséricorde, l’indulgence, le pardon, la compassion.
C’est la prise de conscience de la misère humaine, conscience qui représente le premier pas vers la possibilité d’éprouver un amour sincère pour autrui, donc à l’obtention du bonheur.
Le second pas étant l’acceptation de cette misère (Amor Fati de Nietzsche).
Il faut en effet comprendre que l’homme est faible, fragile, quasi impuissant face à la nature et à sa nature ; face à sa constitution, à son physique et à son intelligence ; face à ses pulsions, ses instincts et ses émotions ; face à ses faiblesses et insuffisances ; face aux contingences et à la fortune ; face à autrui. Il est inconditionnellement dépendant des autres, car seul, il n’est rien.
Au XIIIe siècle, Frédéric II de Hohenstaufen fit une horrible expérience pour savoir quelle langue parleraient « naturellement » des bébés : il en fit élever 6 dans l’isolement sans leur adresser la parole ou leur témoigner une quelconque affection. Les 6 bébés moururent, ce qui montra la nécessité de communiquer avec son enfant pour qu’il se développe.
La morale de cette histoire vraie est que nous avons tous biologiquement besoin de l’autre.
Comment peut-on alors le mépriser ?
C’est donc une tâche immense qu’est la construction d’un individu complet, qui demande au père d’être idéalement lui aussi un individu complet et épanoui.
Filet de sécurité
Je rajouterai artificiellement à ce modèle — voulu naturel — que le père devra fournir un filet de sécurité à l’enfant au cas où il échouerait à sa tache de père.
Un échec, possible même pour le meilleur des pères. Le père ne peut contrôler en totalité l’éducation de son enfant ; rendant donc automatiquement la chose incertaine.
Le père doit donc par ses propres moyens offrir à l’enfant incomplet une situation qui maximiserait son bonheur.
Il doit lui offrir un statut social, en le pistonnant par exemple à un emploi où il pourra s’épanouir (sociétal et passionnel) ; l’aider à fonder une famille en lui fournissant les moyens, par exemple en jouant le rôle de racoleur (couple et enfants) ; lui constituer une communauté proche où il pourra s’épanouir socialement par la famille et les amis de celle-ci (social).
À moins que l’enfant dispose d’un sévère handicap mental, ce filet maximise pour l’adulte incomplet la possibilité de devenir complet.
Cette notion de filet existait plus fréquemment avant l’industrialisation.
En effet, l’enfant vivait au sein de la communauté proche : sa famille/sa belle-famille et le village où il habitait.
Cette communauté lui offrait l’opportunité d’un emploi stable et utile pour s’accomplir en son sein : fermier, artisan, marchand, fonctionnaire, etc.
Aussi, sa famille jouait le rôle de rabatteur par le biais de mariages arrangés entre deux familles.
Aujourd’hui, suite à la destruction du village et de la famille étendue, nous sommes presque dépossédés en totalité de ces moyens qui assuraient auparavant à l’enfant la conquête de son bonheur.
Conclusion
En résumé, le bonheur s’atteint — dans l’ordre croissant d’importance — par :
L’accomplissement de ses passions pour l’univers et l’abstrait.
Son accomplissement au sein de la société, être reconnu utile.
Par l’accomplissement à travers les autres (sa famille, ses amis, sa communauté proches).
L’accomplissement au sein du couple (couple heureux).
Et enfin, l’accomplissement ultime : à travers ses propres enfants qui, à leur tour, s’épanouiront.
Nous avons vu que toutes ces formes sont régies par l’Amour, concept polysémique qui est le moteur de notre vie.
C’est une version étendue de la notion de désir comme moteur de vie de Dostoïevski.
Ces formes sont le résultat de pressions évolutives (génétique ou sociétal).
Le bonheur c’est la découverte, les rencontres, l’acquisition d’un savoir et d’un savoir-faire/être, la participation à une œuvre commune, la transmission.
J’aimerais ajouter a posteriori une petite remarque personnelle : ce raisonnement, la religion chrétienne l’avait déjà compris.
Le cœur de la religion chrétienne se trouve dans l’amour des autres, cet amour qu’elle pensait être la clef de notre salut — salut que j’interprète moi, agnostique, comme la clef de notre bonheur.
Je suis étonné de voir, après plus de 2 000 ans de chrétienté, que l’humanité n’a toujours pas intégré ce message.
Pire ! Aujourd’hui, nous le renions complètement avec l’idéologie individualiste post-moderne ! Nous connaissons ainsi un mal-être d’une envergure inédite qui gangrène toute la société occidentale ainsi que celles qui nous copient.
La misère de la condition humaine peut se comprendre par la nature faible (physiquement, dépendances biologiques et sociales) et répugnante (biologie, maladie, mort) de l’homme et du vivant plus généralement.